LES LIAISONS DANGEREUSES

En tête de l'article un dessin humoristique d'un médecin en face de son patient : "Excellent traitement ! Je l'ai étudié entre deux parties de pêche aux Bahamas, aux frais du labo".
En panne d'innovation, l'industrie pharmaceutique met les bouchées doubles en marketing depuis plusieurs années, afin d'imposer sur le marché des médicaments à l'utilité contestable. Avec le concours de médecins qui oublient au passage de déclarer qu'ils ont des liens financiers avec les laboratoires dont ils vantent les produits dans les médias. Déclaration que la loi rend pourtant obligatoire. L'UFC-Que Choisir porte plainte à titre disciplinaire.
L'industrie pharmaceutique a besoin de praticiens leaders d'opinion pour écouler leurs produits. Et ils écoulent quoi ?
- Octobre 2008 : Sanofi-Aventis retire un médicament contre l'obésité, l'Acomplia. Il donnerait des idées suicidaires à certains patients.
- 2007 : Une série d'études met en évidence des risques cardio-vasculaires induits par L'Avandia, un antidiabétique des laboratoires GSK.
- 2004 : Merck retire en catastrophe le Vioxx du marché. L'anti-inflammatoire augmente les risques de crise cardiaque.
- 2001 : Bayer stoppe la vente de l'anticholestérol Staltor, responsable de plus d'une cinquantaine de décés.
Comme on le voit les retraits de médicaments sont fréquents en médecine et, en plus, aucun de ces médicaments ne représentait un progrés flagrant par rapport à des médicaments plus anciens, mais on les a lancé malgré tout comme des superproductions hollywoodiennes. Et pour cela il faut des médecins leaders d'opinion qui exposent les mérites de ces spécialités, congrés, journaux, revues ou plateaux de télévision, tout est bon. "Que choisir" cite Maxime Dougados, rhumatologue à l'hôpital Cochin à Paris qui n'hésite pas à mettre en avant "une suppression totale du risque d'évènements indésirables graves digestifs". Mais Les labos Merck subventionnent le collège français des enseignants en rhumatologie dont Dougados est le président. Il a été rémunéré pour superviser des essais thérapeutiques.
ET c'est ainsi dans tous les domaines, les industriels de la pharmacie choient les médecins en les invitant à des congrés, en leur payant des formations, en soutenant leurs associations, en les dédommageant pour leur participation à des conseils scientifiques et en tant qu'investigateurs pour des essais thérapeutiques. Quant aux cadeaux de fin d'année pour services rendus, j'ai pu personnellement m'en rendre compte, ce sont de belles caisses de bon champagne et pas seulement un bouquet de fleurs. Songez aussi qu'un médecin investigateur touche d'un laboratoire de 1500€ à 2500€ avec une pointe jusqu'à 5000€ en cardiologie ou en réanimation. par patient. Comme un essai en compte souvent plusieurs dizaines, l'investigateur peut gagner plus de 100.000€. On est trés loin d'une gratification symbolique.
L'article L4113-13 du code de la santé publique impose aux professionnels qui s'expriment publiquement sur un produit de santé de déclarer leurs liens d'intérêt avec les entreprises commercialisant ou fabriquant de tels produits.... La proportion de médecins appliquant le texte ? Au maximum, 0,001%.
Curieusement on trouve dans les laboratoires 2 à 3 fois plus de commerciaux que de chercheurs. On en arrive à la conclusion qu'il est plus important de les vendre que de trouver de précieux médicaments, véritablement efficaces.
Par exemple : le Clopidrogel (Plavix), un antiagrégant à 56,82€ la boîte, n'est pas meilleur que l'aspirine (moins de 3€). La récente rosiglitazone (Avandia) à 28,25€ n'a pas prouvé qu'elle soignait bien les diabétiques, contrairement à la quinquagénaire Metformine (Glucophage) à 5,12€. En plus elle aurait des effets indésirables graves sur le coeur, ennuyeux pour un progrés thérapeutique. Vous comprenez mieux pourquoi de bons commerciaux sont plus importants que de bons chercheurs.
Le Fameux THS (traitement hormonal de Substitution) visait à traiter les bouffées de châleur et à prévenir l'ostéoporose. Un super marché que tous les grands laboratoires ont investi. C'était une vraie rente car les utilisateurs le suivaient pendant des années. Hélas des études épidémiologiques ont mis en évidence les risques cancérogènes et vasculaires de ce traitement hormonal pris sur une longue durée. Malgré cela, il a fallu longtemps pour que la popularité de ce traitement décline à cause de la collusion étroite entre les labos et les médecins leaders d'opinion, afin d'entretenir une image positive de ces médicaments. Tel le gynécologue Henri Rosenbaum, qui était le VRP du THS dans la presse féminine, lui qui était rémunéré par Solvay, Lilly, Novo, Servier, Wyeth, Orion, etc... Ce qui a fait dire à Dominique Dupagne, un généraliste sur le site "atoute.org", que "ce bon docteur Rosenbaum a tellement donné dans la communication hormonale contraceptive et substitutive pour le compte de l'industrie que je ne me fais pas de soucis pour ses vieux jours".
De même pour la maladie d'Alzheimer : Le bénéfice clinique apporté aux patients par les médicaments donépézil, galantamine, rivastigmine apparait trés difficile à préciser. Concernant la mémantine (vendue sous le nom d'Ebixa), la HAS considère que la quantité d'effets observés par rapport au placebo est apparue faible à modeste avec à l'arrivée aucun impact sur le comportement des patients. Conclusion : Il faut continuer à les prescrire.
Mais le vent est peut-être en train de tourner aux Etats-Unis, où les laboratoires n'ont jamais eu aussi mauvaise presse, notamment en raison d'une rafale de scandales liés à des conflits d'intérêt.
La publicité pour les médicaments n'est autorisée que dans deux pays, la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis, où elle est d'ailleurs de plus en plus controversée. Mais en fait les labos ne font pas de la Pub "Ils informent", mais comme ils ont une tendance à ne produire que les études favorables à leurs produits, on devine aisément ce qu'ils feront de cette obligation.
Bravo pour cet article de Erwan Seznec pour la revue Que Choisir, il faut du courage. Et que c'est bon de voir qu'il y a des gens courageux pour oser s'attaquer à cette toute puissance des laboratoires qui nous prennent pour des cobayes quand ce n'est pas pour des vaches à lait.